L’Attachement
On vous a souvent parlé d’attachement. Pour clarifier les choses sur ce processus essentiel et déterminant, faisons la lumière sur ses quelques grandes lignes.
Pour commencer, « attachement » n’est pas en opposition à « amour ». Ceci n’est finalement lié qu’à ce grand débat que certains lanceront au sujet de la différence entre sentiments et émotions. La vérité c’est que cela n’a aucune espèce d’importance, et c’est pourquoi je ne m’attarderai pas là-dessus.
La notion d’attachement, son évolution et son rôle dans le développement du chien est à maitriser correctement pour ceux qui souhaitent comprendre au mieux les comportements du leur.
Je vais donc, au risque d’en barber certains, m’efforcer d’être un tant soit peu « scolaire ».
(Cet article est en lien direct avec « Les troubles du développement chez le chien, l’importance des premières semaines ». Aussi, de nombreux « ping »/liens vous y conduisent).
Tout d’abord, situons les 3 grandes phases du développement du chiot. Nous ne nous y attarderons pas, mais nous en avons besoin pour organiser et comprendre ce qui va suivre.
– La période néonatale s’étend de la naissance à l’ouverture des yeux soit de 0 à 14 jours. Ce sont donc les 2 premières semaines de vie du chiot.
– La période de transition s’étend de l’ouverture des yeux à l’apparition de l’audition, soit environ de 14 à 21 jours. Elle recouvre donc la 3ème semaine de vie du chiot.
– La période de socialisation (la fameuse !) s’étend depuis la 3ème semaine jusqu’à la puberté
Après 63 jours au chaud, les chiots naissent sourds et aveugles, totalement incapables de survivre seuls. Leurs capacités motrices et sensorielles sont très précaires, et se limitent à un certain nombre de réflexes primaires qui leur permettent d’accéder à la tétée, et d’éliminer cette tétée. Ces réflexes seront progressivement remplacés par des réponses volontaires via des compétences acquises, au gré du bon développement du chiot.
A cet instant, l’attachement n’est pas réciproque. Seule la mère est attachée à ses petits. Cet attachement est fonctionnel, et apparait quasi -immédiatement après la naissance. Contrairement aux humains, elle n’attend pas ses petits avec impatience – et c’est un certain nombre d’actions en chaine qui vont, de ce que nous savons, « activer » cet attachement unilatéral.
Durant cette période néonatale, si les petits sont séparés de leur mère, les chiots s’agiteront oui, mais retrouveront chaleur et apaisement auprès d’une autre femelle allaitante (ou n’importe quoi de chaud et moelleux, capable de produire du lait) – tandis que maman elle, ne trouvera pas d’apaisement.
Avec l’apparition de ses nouveaux sens efficaces, la période de transition marque un tournant dans le développement. En plus de tout ce que ces nouvelles compétences sensorielles vont pouvoir lui permettre d’observer et découvrir, elles lui permettent à présent de reconnaitre sa mère en lui attribuant des odeurs, une silhouette, une voix propre et particulière. C’est alors que l’attachement devient réciproque : il n’est plus question de se contenter de n’importe quelle source de chaleur ; à présent la portée ne trouvera réconfort qu’avec elle, elle et personne d’autre.
Puis vient la très sensible et très décisive période de socialisation. Celle-ci comporte environ huit grands processus essentiels, huit grandes étapes du développement du chiot sur lesquels nous ferons la lumière ultérieurement. Concentrons-nous sur ce qui nous intéresse aujourd’hui.
Dès ses 5, 6 semaines de vie, les réflexes évoqués plus hauts ont tous été remplacés par des réponses volontaires. Le chiot est désormais « au complet » d’un point de vue nerveux et sensoriel, il peut courir, jouer, vite se redresser s’il tombe… c’est le début des interactions sociales. Les petits apprennent ainsi à adopter tout l’éventail des attitudes corporelles essentielles à la bonne communication, comme la posture d’appel au jeu, de soumission, de dominance, le chevauchement etc…
L’attachement que le chiot porte à sa mère n’en est que renforcé, et celle-ci devient, en plus de son premier repère apaisant et nourricier, un modèle et une éducatrice.
La période de transition marque un tournant dans le développement. L’acquisition de ses nouvelles compétences sensorielles lui permettent entre autre de reconnaitre sa mère en lui attribuant des caractéristiques particulière. C’est alors que l’attachement devient réciproque.
Nous définissons l’attachement comme « un besoin inné d’autrui », et pensons en toute logique que l’évolution a mis ce processus en place de façon à protéger l’espèce : maman défend ses petits contre les prédateurs, qui survivent et succèdent.
Harry Harlow, psychologue chercheur phare des années 60-70, a réalisé de nombreuses expériences au sujet de l’attachement et tout ce qui y est associé. Si aujourd’hui les méthodes qu’il eut employées seraient immédiatement dénoncées, ses travaux nous ont permis de grandes avancées dans le domaine de l’éthologie et du comportement et notamment dans les syndromes de privations sociales précoces.
Parmi ces expériences douteuses, Harlow proposa à deux portées de petits singes deux mères factices dans chacune de leurs cages respectives. L’une en métal, l’autre en fourrure. Le premier groupe était nourri (via des biberons sur la structure) par la mère de métal, l’autre par la mère de fourrure. Il en résulta que peu importe qui donnait le lait, les petits recherchaient le doux contact de la fourrure, quand bien même ils prenaient le lait chez le substitut de métal. La conclusion est aisée et fort intéressante : l’attachement n’est pas exclusivement lié au sein, comme le prétendait Freud !
L’attachement dit primaire est donc nécessaire à la survie, est unilatéral à la naissance, devient réciproque par la suite et passe par le sens du toucher, les odeurs et phéromones dont les fameuses Apaisines, la vue et l’ouïe ensuite.
Les apaisines sont des phéromones sécrétées par la mère dont l’effet, comme son nom l’indique, est apaisant pour les petits. Cet apaisement contribue à l’attachement. Et l’attachement contribue à l’apaisement.
Une autre expérience d’Harlow consistait (toujours avec des singes) à isoler dans une pièce un petit singe et sa mère (ou objet d’apaisement), et dans l’autre un petit singe sans sa mère (ou objet d’apaisement). Dans les deux pièces il fit entrer un gros ours mécanique, inconnu du singe. Les deux singes prirent peur et s’éloignèrent. Le premier, qui put prendre contact avec l’objet d’attachement, se rassura auprès de sa mère avant de s’approcher timidement de l’ours, et fini même par jouer avec lui. L’autre – privé de tout contact rassurant – resta pétrifié dans un coin, incapable de trouver l’apaisement. Il ne s’approcha jamais de l’ours.
La capacité à explorer est nécessaire à la constitution d’une « base de données » des expériences, comme un système référentiel permettant à l’individu de trouver une stabilité émotionnelle face à une situation nouvelle. Nous appelons ceci « homéostasie sensorielle ».
L’expérience ci-dessus démontre que l’élaboration de cette base de données, et donc le seuil d’homéostasie sensorielle (seuil au-delà duquel le chien ne saura plus s’adapter face à une stimulation), sont étroitement liés à la qualité de cet attachement.
Nous appelons ce procédé exploratoire « exploration en étoile » : le petit s’éloigne, prend contact avec l’univers et reviens chercher tendresse, approbation et apaisement auprès sa mère avant de repartir vers l’inconnu, et ainsi de suite.
Une absence d’attachement primaire, comme un attachement à une mère elle-même en souffrance (phobique, anxieuse etc.) aura des conséquences dramatiques pour la portée qui n’aura pas soit les ressources nécessaires à ces découvertes, soit les bonnes réactions de sa mère : une mère anxieuse ou phobique transmettra des messages négatifs à ses chiots, dont la perception du monde se calquera sur la sienne.
L’apaisement contribue à l’attachement, qui contribue à l’apaisement, qui contribue aux apprentissages …
Dans la continuité ; cette référence systématique à l’objet d’attachement permet aux petits un phénomène d’identification que nous appelons Imprégnation. Lorsqu’il nait, le chiot ne sais pas qu’il est un Chien, et c’est entre 3 semaines et 4 mois qu’il va apprendre ce qu’il est, qui sont ses congénères, ses partenaires sexuels. Séparé de ses semblables pendant cette période extrêmement sensible, un chiot ne présentera aucun comportement social ou sexuel envers les siens. S’il est élevé avec des canards, il se prendra pour un canard, pour faire simple. Ce phénomène d’Imprégnation hétéro-spécifique peut être réversible, mais seulement avant la 16ème semaine de vie, et seulement si le chiot a eu accès… à un être d’attachement.
(Élevé avec une maman canard auquel il est attaché et imprégné, le chiot, remis avant ses 4 mois au milieu de ses congénères, pourra se réadapter. Le chiot laissé à l’abandon, sans aucun être d’attachement même d’une autre espèce, lui, ne saura se rétablir).
Aussi et par imitation, toujours en référence à sa mère et grâce à cet attachement, la portée observe et reproduit les attitudes, mimiques et rituels nécessaires à la communication canine. C’est l’acquisition des compétences sociales.
Ce mimétisme est si présent que – en plus d’une certaine héritabilité des comportements – un chiot ressemble souvent à ses parents. Une mère excessivement bagarreuse, à fort tempérament et désireuse d’accéder systématiquement à un statut de meneuse a toute les chances de produire des petits aux mêmes penchants.
Une mère anxieuse ou phobique transmettra des messages négatifs à ses chiots, dont la perception du monde se calquera sur la sienne.
Une absence d’attachement ou un mauvais attachement aura de ce fait des conséquences sur le bon apprentissage des conduites sociales qui, au-delà d’un certain seuil critique, ne pourront plus être rattrapées.
L’Attachement permet donc la survie, l’apaisement, l’imprégnation et les apprentissages. L’attachement est la base de tout. Il est le pilier du développement.
Il est presque inutile de conclure, tant ces conclusions sont évidentes. Maman est importante. L’élevage, l’éleveur, est important.
Une absence d’attachement ou une mauvaise qualité de celui-ci est responsable au moins en grande partie de troubles du développement irréversibles. Syndrome HS/HA, Dyssocialisation primaire, et même Syndrome de privation sensorielle trouvent totalement ou partiellement origines dans ce phénomène.
La responsabilité du producteur – qu’il soit éleveur professionnel ou particulier prit de cours – est entière, bien que d’un point de vue légal complètement ignoré. L’examen de confirmation pour les chiens de races nous prémunissent plus ou moins de trop de dérives mais, le retrait de la sélection des chiens présentant des troubles du développement ou du comportement n’étant pas le but premier (celui-ci est la conformité au standard et la bonne santé physique), cet examen est loin d’être une solution infaillible. D’autant que nous l’avons vu, une mère saine et stable, mais absente, provoque les mêmes dégâts.
Syndrome HS/HA, Dyssocialisation primaire, et même Syndrome de privation sensorielle trouvent totalement ou partiellement origines dans ce phénomène d’attachement.
Pour finir et par soucis de prévention, attachement va avec détachement. Plus sous la responsabilité de sa mère mais sous la vôtre, et après avoir (normalement) créé un Second lien d’attachement, le jeune doit à l’approche de la puberté, procéder au détachement. Pour grandir et s’attacher alors à l’ensemble du groupe, une distanciation progressive par rapport à vous doit se faire, pour son équilibre et son indépendance.
J’attire votre attention que vous ne perdez rien, bien au contraire !! Et dans la continuité de cet article je vous renvoie vers « De la nécessité du lien – Réveillez-vous ! », point de réflexion quant à la suite de l’aventure avec votre chien.
L’Attachement permet la survie, l’apaisement, l’imprégnation et les apprentissages. L’attachement est la base de tout. Il est le pilier du développement.
Bonne journée !